[Terminé] Une vie de chat [PV Sissel]

La rareté semblait être la bonne explication, à en croire Gaïa. Peu d'humains en avaient vu, et certains pouvaient passer une vie à les chercher sans les trouver. Pourtant, difficile à croire qu'une espèce avec tant de diversité puisse être si rare. Elle parlait de couleurs variées, d'individus plus grands ou plus petits qu'elle, elle insistait encore sur la différence entre dragons et manakete, comme si les seconds étaient… une race bâtarde ? L'équivalent pour les dragons d'un chat de gouttière comme lui comparé à un chat de race pure ? En tout cas difficile que des groupes entiers de créatures aussi massives puisse réellement se cacher, à moins qu'ils vivent tous dans des endroits à l'abandon comme cette cité en ruine. La tête du félin se tourna encore un peu alors que son regard se perdait vers le haut, contemplant le vide. Voilà une théorie intéressante, peut-être Gaïa habitait-elle simplement ici, là où il n'y avait pas – plus ? – d'humains. Dans ce cas, elle saurait sûrement lui dire ce qu'était ce « ici », justement. Cela attendrait encore un peu cependant. S'il se posait beaucoup de questions, il n'était visiblement pas le seul – et il y avait de quoi. Sa tête se pencha de l'autre côté alors qu'il réfléchissait à la meilleure réponse. C'était une question plus complexe qu'il pouvait y paraître.

"Eh bien…"

Pour autant qu'il puisse en juger, il n'était pas beaucoup plus malin que les autres chats. Sa mort, cependant, lui donnait une perspective différente du monde, et une meilleur compréhension des propos humains. D'un autre côté, il se souvenait d'un certain missile qui n'était certainement pas une flèche…

"Nous sommes plus intelligents que les humains l'imaginent, oui. L'impossibilité de communiquer clairement en temps normal ne doit pas aider, nous comprenons à peu près ce que vous dites, et réciproquement. Par contre, de là à dire que nous sommes tous aussi intelligents… Certains le sont, c'est sûr, mais pas tous. Et je ne suis plus vraiment un chat ordinaire."

Oui, un sujet complexe qui ne le concernait plus vraiment. Il redressa finalement la tête alors qu'il approchait d'une réponse qu'il pensait satisfaisante. En fait, peut-être aurait-il dû commencer par ça.

"C'est peut-être préférable de continuer à nous parler comme des enfants, aux autres chats au moins. Comme nous n'utilisons pas vraiment de mots pour communiquer, c'est plus simple de retenir quelques mots et ce qu'ils veulent dire. Si tu veux me parler normalement, par contre, il n'y a aucun soucis."

Voilà, une réponse définitive pour que Gaïa sache quoi faire. Il hocha la tête tout seul avant de changer de sujet.

"Est-ce que tu habites ici ? Et… où on est, exactement ?"

Le félin haussa les épaules – un geste étrangement humain, mais il avait pris l'habitude de parler avec eux et de copier leurs mimiques depuis sa mort. Il lui avait fallu peu de temps pour se forger une identité, quand il pensait ne pas en avoir – si elle voulait lui parler normalement, tant mieux. Et si elle voulait parler normalement aux autres chats, eh bien ils auraient du mal à suivre, mais n'importe quel chat un peu futé saurait se débrouiller. Il avait des choses plus importantes sur lesquelles se concentrer, telles que l'endroit où ils se trouvaient. Gaïa en savait un peu plus que lui, même si elle n'habitait pas non plus ici. Et ce qu'elle savait était… étrange.

Sissel pencha la tête vers la gauche, les oreilles baissées vers les côtés. Elle parlait de monde et de dimensions mais il n'était pas certain de comprendre. Ce n'était pas comme le monde fantôme, l'endroit où ils étaient était bien réel. Bien concret. Et les dimensions… ça avait quelque chose à voir avec la taille ? Quel rapport avec cette histoire de mondes ? Il ne suivait plus.

"Euh… Je n’aie pas tout compris. Mais si je vais dans ce bâtiment dont tu parles, ce Colisée, des gens pourront m'expliquer plus en détail ce qui se passe, c'est ça ?"

C'était sans doute la meilleure chose à faire dans ce cas. Le fantôme se redressa et étira ses pattes. Il n'était pas vraiment fatigué, ou inconfortable, mais ce genre de gestes machinaux étaient une habitude. Il se remit debout et se prépara à bouger.

"Dans ce cas, il est peut-être temps de te sauver. Tu n'iras nulle part dans ton état, et je refuses de te laisser derrière."

Il hocha la tête et se concentra. Tout s'obscurcit autour de lui. L'âme de Gaïa disparut, le monde fantôme disparut, le rocher s'éleva dans les airs et leurs corps respectifs alors que les rouages du temps tournaient en sens inverse.


D'un coup il se retrouva seul au milieu de la route, dans cette ville abandonnée, là où tomberait bientôt le rocher qui avait coûté la vie à Gaïa. Le dragon à silhouette humaine marchait dans sa direction, à bonne distance de là, avec un corps de chaton sans vie sur l'épaule. Il voulut bondir dans leur direction, pour aller prévenir Gaïa de la mort qui approchait… mais il n'y avait aucun noyau où sauter aux alentours. Aucun moyen de se déplacer ou de se rapprocher de son corps. Il devrait attendre la dernière seconde, qu'elle se rapproche...

Gaïa s'approchait, comme elle l'avait fait la première fois. De sa position, le fantôme pouvait la voir approcher, et tout aussi clairement voir la roche sur le point de s'effondrer au-dessus de lui. C'était à se demander comment ils n'avaient rien remarqué avant que la maçonnerie s'effondre et tue quelqu'un. Il ne pouvait pas vraiment la prévenir, mais ce n'était pas plus mal. Elle avait son corps sur l'épaule, et il avait besoin de son corps. Restait juste à attendre jusqu'à ce qu'elle soit à portée.

Dès que ce fut le cas, l'âme bondit dans son corps. Le chaton se redressa d'un coup, comme sous le coup d'un électrochoc. Pas de temps à perdre, la manakete était presque sous la pierre fatale ! Sissel sauta en arrière, aussi loin que possible, et cria de toutes les forces de ses petits poumons. Il espérait que Gaïa tente de le suivre ou de le rattraper, mais elle se contenta de s'immobiliser et de relever la tête. Ah, elle avait entendu l'effondrement, c'était mieux que rien ! Elle pourrait sans doute esquiver cette fois, se mettre à l'abri. Et quand ce serait fait, il irait lui parler. Lui rappeler leur petite discussion dans le monde fantôme.

"Bonjour, Gaïa."

En touchant son âme alors qu'elle était vivante, il l'accompagnerait à nouveau dans le monde fantôme, comme lorsqu'elle était morte. Elle ne se souviendrait peut-être pas tout de suite de leur discussion, mais cela viendrait. Et si elle paniquait entre temps, elle ne pourrait rien faire de trop dangereux. Il était déjà mort, après tout.

La première chose que constata Sissel, c'était que Gaïa avait son apparence « humaine ». Elle n'était plus une âme perdue, ni la bête immense. C'était très bon signe, il avait pu la contacter et elle se souvenait de leur première rencontre. Ou elle s'en souviendrait vite. Le spectre de chat poussa un soupir de soulagement – une attitude très humaine – et dressa les oreilles.

"Ahh… Ça sera plus simple pour parler, maintenant."

Puis il rouvrit les yeux et reprit une posture plus digne. Il avait touché l'âme de Gaïa par habitude, comme à chaque fois qu'il réussissait à sauver quelqu'un, mais… qu'avaient-ils encore vraiment à discuter, cette fois ? Ils avaient beaucoup échangé avant qu'il remonte dans le temps, et maintenant… Enfin, il y avait toujours des choses à se dire.

"Eh bien voilà, tu es sauvée. Prends ton temps pour réfléchir à ce qui vient de se passer, si tu veux, et je suis là si tu as des questions. C'est toujours particulier de mourir et revenir à la vie."

Enfin, certains le prenaient mieux que d'autres, ils se faisaient à l'idée plus ou moins vite. Ce détective en prison avait très bien vécu l'expérience, il avait même trouvé ça amusant. Quand à Lynne, elle s'était un peu trop habituée. Gaïa semblait avoir une réaction plus proche de celle qu'il attendait, elle était surprise et un peu perdue. En attendant qu'elle rassemble ses esprits, le fantôme de Sissel s'étira.

"Enfin je ne suis toujours pas sûr que tu sois morte, cette statue était bizarre. Tu avais déjà vu quelque chose comme ça, chez toi ?"

Le félin défunt hocha la tête sans un mot. Ils n'avaient donc l'un comme l'autre jamais rien vu de tel. Pour que deux personnes si différentes, aux origines si distinctes, venant même de deux mondes séparés, n'aient jamais rien vu de tel, cette statue devait vraiment être un phénomène rare. Peut-être unique. Gaïa suggérait que ce soit l'oeuvre d'un mage très puissant, quoi que ça veuille dire. De son côté, Sissel était peu convaincu.

"Si tu le dis…"

Le chaton pencha la tête de côté, plongé dans ses réflexions. Il n'avait vu ou ressenti personne aux alentours, donc pas de « mage ». A moins que les mages soient aussi invisibles aux yeux des fantômes ? Il ne percevait pas les vivants, après tout. Enfin pas ceux qui n'étaient pas déjà mort au moins une fois. Et ce qui s'était passé ressemblait un peu à un nouveau genre de pouvoir de fantômes. Certains pouvaient bouger les objets, d'autre posséder les corps, pourquoi Gaïa n'aurait-elle pas pu solidifier les choses ?

Non, ça ne pouvait pas être ça. Elle était encore inconsciente quand il avait touché son âme la première fois, et pourtant la statue était déjà là. Et il aurait fallu qu'elle meurt à proximité de la météorite, or il ne ressentait pas son aura dans les parages. Ce n'était donc définitivement pas quelque chose de son monde…

"Attends…"

Il pencha encore plus la tête, les oreilles dressées. Maintenant qu'il y pensait, Gaïa n'avait jamais vu de fantôme comme lui, et n'avait même pas pensé à la météorite. Sissel, de son côté, n'avait jamais entendu parler de la « magie » ou des « dragons ». Ils venaient de mondes différents, ils avaient déjà établi ça, et leurs mondes semblaient chacun avoir leurs spécificités, alors… Il redressa la tête.

"Peut-être que cette statue est liée à ce monde, d'une façon ou d'une autre ? Ni de la magie, ni des pouvoirs de fantôme, mais… autre chose ?"

Si tel était le cas, ils ne risquaient pas de comprendre à eux deux. Aussi bon détective qu'il soit, le chaton avait besoin de plus d'informations que ça pour enquêter. Et il avait toujours eu l'aide de vrais détectives jusque là. Par contre…

"Tu as croisé des gens depuis ton arrivée ici, non ? Ils en savent peut-être plus sur ce qui t'es arrivé. C'est leur monde, après tout ! Et je veux aussi leur demander comment rentrer chez moi, si c'est possible."