[Terminé] Le meilleur chemin [PV Min²]

Évidemment, elle ignorait comment tout ceci semblait possible. Alfonzo l'enviait un peu en quelque sorte, car cela fait bien longtemps qu'il n'avait été surpris sans pouvoir donner d'explication. Plus de la moitié des choses lui semblaient fades à présent. Bien que l'apparence de Min Min semblait originale, il en avait rapidement conclu qu'il pouvait s'agir d'une altération génétique quelconque. Toujours ce décalage entre l'émerveillement presque inexistant chez lui et les hypothèses factuelle dont il faisait souvent appel. Il ne put d'ailleurs s'empêcher de noter les réflexions erronées de la blonde à propos de son pouvoir, tandis qu'il aurait voulu la corriger et faire son rabat-joie, mais il préféra laisser l'athlète dans son enthousiasme grandissant. Elle en aurait besoin.

Il fouilla de nouveau à l'intérieur de son manteau et en sorti le masque qu'il portait plus tôt. Sans aucune autre manière il le remit à sa place sur son visage. Tandis qu'il s'exécutait, il se demandait si le fait de révéler son visage avait joué en faveur de leur relation ou si cela n'avait rien changé. Pourtant il avait laissé échapper un sourire. Voilà bien encore quelque chose qu'il avait calculé, même s'il avait hésité à faire cette légère grimace à l'effet positif.

Il écouta le reste des propos de sa restauratrice et cette fois-ci ne pu s'empêcher de lâcher une remarque.

"Vous surestimez peut-être l'étendu de mes capacités. Je ne voudrais pas trop vous décevoir en vous apprenant que dans l'état actuel des choses il m'est impossible de nous sortir de cette situation comme par magie, mais... je peux essayer de rendre les choses plus simple en effet. Quant à votre question, je peux sans doute y répondre de ce pas."

Il vérifia que son masque était bien attaché et referma bien comme il faut sa veste pour éviter que le vent ne vienne la secouer en tout sens.

"Restez ici, je reviens."

Il leva les yeux au ciel et sans prévenir ses pieds quittèrent le sol. Il commença à flotter doucement, puis s'éleva dans les airs de plus en plus vite, prenant de plus en plus d'altitude. Il avalait alors plusieurs dizaines de mètres pendant son ascension, jusqu'à ce qu'il estime être à une hauteur suffisante. Il regarda en bas, sans éprouver aucune sensation de vertige, toujours l'air calme. Min Min n'était alors plus qu'un point animé sur la surface. Il releva les yeux et reporta de nouveau son attention sur son entourage. Le panorama qui s'offrait à lui représentait une île. Différents biomes composaient ce monde et fort heureusement il ne se composait pas que de désert. Il essaya ensuite d'observer avec précision toute trace de civilisation et ne put s'empêcher de regretter ne pas avoir pris avec lui une des optiques portable de l'observatoire de l'académie. Pouvoir zoomer à volonté aurait été d'un grand secours, mais il faudra faire sans.

Les plus proche signes d'habitation que sa vision lui offraient étaient principalement des bâtiments dévastés, localisés dans des régions soit inhospitalière soit troglodytique. Il devait se concentrer sur une zone favorisant la vie et il n'eut pas besoin de chercher longtemps. Il remarquait une forêt donnant sur une plaine verdoyante, et cette plaine bénéficiait d'un grand lac et au delà du lac se trouvait...

"Un bâtiment aussi grand, visible à cette distance, au beau milieu d'une plaine. Voila bien quelque chose de singulier."

Il croisa les bras, l'air songeur, puis entamait de nouveau sa descente tandis qu'il réfléchissait à ce qu'il allait raconter à Min Min. Il se posa délicatement au sol, les bras toujours croisés et lui annonça alors.

"J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Vous préférez écouter laquelle en premier ?" Avait-il dit sans émotion.

Min Min écoutait son camarade de voyage sans rien dire. Elle avait déjà eu affaire à beaucoup de gens qui ne semblait pas forcément fier de leur capacité ou qui ne se rendait pas compte du chemin parcouru. Elle aurait bien voulu lui faire voir les choses avec ses yeux mais maintenant n'était pas vraiment le moment. Elle aurait toujours le temps de faire ça quand ils auraient atteint un environnement plus sain.

Alors qu'il proposait de régler le problème de localisation, Min Min se releva rangeant ses instruments de cuisine. Où est ce qu'elle avait la place pour ranger tout ça était un secret bien gardé par sa famille. Mais quand elle releva la tête, elle put voir Alfonzo en train de s'élever dans les airs et les mots se coincèrent dans sa gorge. De là d'où elle venait, les gens pouvaient sauter haut, même se maintenir en l'air pendant quelques temps mais là c'était à un tout autre niveau. Qu'est ce qu'elle faisait là ? Dans cet endroit, si tout le monde avait les capacités au même niveau qu'Alfonzo, elle aurait du mal a reprendre une position de championne. D'ailleurs elle ne savait même pas si les gens s'affrontaient dans cet endroit. Où s'il y avait d'autre gens tout court...

Quand l'homme au masque redescendit sur la terre ferme, elle resta silencieuse pendant quelques secondes avant de se remettre les idées en places en secouant son visage. Elle n'allait pas pouvoir avancer si elle se retrouver surprise par chaque action qu'un inconnu faisait. Elle allait devoir être réactive :

"Commençons par la mauvaise nouvelle. C'est toujours mieux de relever le moral plutôt que de gâcher une bonne nouvelle avec une mauvaise."

Min Min croisa les bras se préparant à encaisser la nouvelle. Le manque d'expression faciale à cause du masque et le ton monotone d'Alfonzo rendait la lecture impossible. D'aussi loin qu'elle savait, il pourrait lui annoncer qu'un village se trouvait 200 mètres plus loin ou que ce canyon continuait à l'infini. Et elle n'aimait pas ça. L'anticipation et la préparation n'avait jamais vraiment été son domaine, alors plus vite ce serait réglé, mieux c'est.

Il lui importait assez peu au final qu'il commence par l'une ou l'autre nouvelle, il était simplement curieux de connaître la réponse de son interlocutrice. Alfonzo n'accordait guère d'importance à la façon d'enchaîner les informations, terminer sur une note optimiste ou pessimiste lui était parfaitement égal. Il se contenta alors d'acquiescer au moment du fameux choix.

"Bien. La mauvaise nouvelle en premier lieu donc. Je dois tout d'abord vous mettre dans le contexte. Nous nous trouvons sur une île avec un océan à perte de vue tout autour. D'après mes calculs et la position du soleil, je dirais que nous nous trouvons à la bordure Est de l'île. Il n'y a aucun signe de civilisation active à quelques kilomètres à la ronde et notre chemin rencontrera la plupart du temps des terres inhospitalières. Le seul lieu propice à la vie et qui n'est pas totalement à l'état sauvage se trouve complètement à l'opposé, tout à l'ouest, à l'autre bout de l'île. Et donc..."

Il décroisa les bras, repliant le gauche contre son dos et leva l'index de sa main droite pour souligner autre chose, qu'il savait allait attirer l'attention de la jeune femme blonde.

"... il est à noter, et c'est une bonne transition pour la bonne nouvelle, que tout au bout à l'Ouest, malgré les kilomètres qui nous en séparent se trouve un édifice particulièrement imposant et en bon état. Le cours d'eau ainsi que la plaine verdoyante dans laquelle est positionné le bâtiment indique une probabilité assez importante que s'y trouve là-bas une quelconque civilisation."

Il positionna de nouveau les bras le long du corps après ce monologue presque robotique.

"Que dire de plus, si ce n'est que je me ferai un plaisir de vous guider jusqu'à cette oasis ?"

Il se mit de nouveau à flotter, cette fois-ci à reculons, faisant toujours face à Min Min. Il se trouvait légèrement penché vers l'arrière puis pointa avec un pouce derrière son dos.

"Par ici. Allez au rythme qui vous plaira, je m'adapterai à votre vitesse, du moment que vous ne courrez pas à une vitesse proche de celle du son, vous ne risquez pas de me semer. Je dois toutefois vous prévenir. Jusqu'à ce que l'on parvienne dans la plaine, le parcours peut s'avérer accidenté. Je ne peux que trop vous conseiller de faire attention où vous mettez les pieds."

Il haussa les épaules et poursuivit.

"Personnellement je n'ai pas à me soucier de la qualité du terrain." Répondit-il de façon tout à fait naturelle sans prendre la mesure de ses paroles devant la demoiselle.

Min Min souffla de soulagement. Si la distance était la mauvaise nouvelle, alors c'est qu'il n'y avait pas de mauvaise nouvelle. Et s'il y avait un bâtiment c'est qu'il devait bien y avoir d'autre gens ! Ils n'avaient qu'à atteindre cet oasis et après ce ne serait qu'une succession de petit objectif. Cette course vers la civilisation serait un peu comme la concoction d'un plat. On met les éléments en place, on réfléchit où l'on veut aller et une fois que tout est prêt il n'y avait plus qu'à foncer, faire cuire et organiser une rotation en répartissant les tâches. Et voilà que toutes les pièces étaient en place ! Il n'y avait plus qu'à ouvrir le service.

"Très bien Alfonzo ! Ouvrez les marches et rejoignons cet oasis. J'ai beau bien supporté la chaleur, j'avoue que je me mettrai bien dans un endroit plus frais pendant un moment. Préparez vous, nous partons."

La jeune femme n'était pas une génie, ni une scientifique. Elle était une cuisinière et une combattante. C'était les deux domaines dans lesquels elle s'illustrait. Et pour le moment son cerveau fonctionnait à plein régime grâce à son repas. Elle avait pu voir son camarade de voyage voler, remonter le temps et qui sait ce qu'il pouvait faire d'autre. Elle avait besoin de se tenir prêt. Si les habitants de ce monde pouvait faire quoi que ce soit du même style, elle avait besoin d'évaluer ce qu'elle était capable de faire ici.

Min Min se mit en position de course, ses bras se déplièrent, reprenant une forme de ressort. Puis, après avoir mis son corps vers l'avant, elle partit en courant. Elle savait qu'elle ne tiendrait pas tout le trajet comme ça mais elle devait déjà vérifier comment son corps avait résisté au trajet et comment il se comporterait ici. Pour l'instant tout se passait bien. Elle n'avait aucun doute sur le fait qu'Alfonzo arriverait à continuer à lui servir de guide alors qu'elle filait à travers les bords du canyon. Elle laissait des empreintes de ses chaussures dans le sable qui ne semblait pas avoir été dérangé depuis des années, le bruit de sa respiration régulière et des pieds sur le sol rythmant son voyage.

A plusieurs reprises son pied manqua de riper mais à chaque fois un saut ou étendre son bras en plus de saisir un rebord lui permettait de repartir de plus belle. Pour l'instant elle touchait du bois. Sa constitution et sa puissance physique ne semblait pas avoir changé. En revanche, elle sentait quelque chose d'étrange quand elle sautait, comme si elle allait plus haut ou qu'un appui moins puissant était nécessaire. Une gravité moins forte ? Une possibilité de double saut comme dans les jeux vidéos dont elle avait été friande pendant ses années de collège ? Elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus pour l'instant mais ça pouvait attendre. Pour l'instant, elle se contenterait de voir jusqu'où son corps la porterait dans ce nouveau monde...

Et la voilà partie.

Son allure était déjà particulièrement rapide et elle prit une légère avance sur Alfonzo au démarrage tandis qu'il avait gardé sa position initiale. Il se retourna complètement et se pencha pour se retrouver pratiquement à l'horizontale, les bras croisés, son corps à un peu plus d'un mètre cinquante du sol afin de se trouver à peu près au même niveau que Min Min. Tandis qu'il se déplaçait de façon fluide, les déplacements d'air firent bouger le tissu au bas de sa veste en des vagues désordonnées. Il fut de nouveau rapidement aux côtés de la jeune femme blonde.

Le curieux personnage observait avec un œil intéressé la façon dont avait l'athlète de se déplacer. Rien que ses jambes semblaient adaptées à l'exercice de la course, mais ce qui était le plus surprenant c'était sans doute l'utilisation annexe qu'elle trouvait à ses bras qui pouvaient toucher le sol sans qu'elle est besoin de se pencher. Lorsqu'un obstacle provoquait son déséquilibre, il lui suffisait d'utiliser un membre d'appui comme secours. C'était fascinant ce genre de bipédie améliorée. A n'en pas douter il s'agissait d'une mutation particulièrement bénéfique et nul doute que ce trait particulier aurait de beaux jours devant lui. Mais tandis qu'il songeait aux applications que cela pouvait induire, l'être stellaire ne put s'empêcher de songer à ses limites.

D'un air neutre il posa alors la question.

"Vos bras peuvent s'étendre à volonté, ou bien le point de rupture de ces membres est connu ?"

Alfonzo s'était retenu jusqu'à présent, mais il ne pouvait rester plus longtemps dans l'inconnu.

Min Min avait réussi à parcourir un peu de chemin avant que le besoin de ralentir la cadence se fit ressentir. Elle se déplaçait toujours à un rythme athlétique mais au moins, elle continuait à avancer sans risquer de tomber sous les coups de la chaleur. Et ralentir le rythme lui laissait l'occasion de répondre aux questions qui semblait presser les lèvres de son compagnon. Elle haussa les épaules en répondant :

"Disons que je n'ai jamais testé. J'ai mes propres préférences et mon niveau de confort. De là d'où je viens, il y a des scientifiques qui voulaient comprendre comment tout ça marchait. Mon travail c'était juste d'utiliser ses bras pour combattre dans la Ligue. Et à ce moment-là, non seulement je n'avais pas besoin de les étendre très loin, mais surtout, les étendre trop loin et trop longtemps risquait de laisser une ouverture qu'un adversaire un minimum réactif aurait saisi... Donc je me contenterai que la limite d'extension de mes bras n'a pas encore été découverte. Et pour l'instant ça me convient."

La jeune fille aurait bien voulu lui poser des questions en retour sur ses capacités mais elle connaissait ses limites. Elle savait qu'elle ne pourrait pas comprendre un traître mot de ce qu'il dirait. Mais elle sentait que le trajet serait plus agréable si elle ouvrait un sujet de conversation ou qu'au moins elle faisait plus que répondre. Alors elle se lança :

"Si jamais on commence avec les questions je vais me permettre de m'y mettre aussi. Vous avez dit avoir une sœur ? Comment est-elle ?"

Elle ne pouvait pas comprendre le technique, alors peut être qu'elle pourrait comprendre le relationnel. Si ça ne mordait pas, ça aiderait au moins a passer le temps.

Des scientifiques qui expérimentaient sur la nature étrange de ses bras, dans son propre monde, c'était là une information intéressante. Cela voulait dire qu'il y avait encore beaucoup à apprendre sur ce caractère génétique. Min Min ne semblait guère s'en soucier plus que ça tant qu'elle pouvait s'en servir dans son sport. Alfonzo comprit alors qu'il n'aurait pas les détails techniques nécessaire à sa curiosité. Une légère déception, mais il s'y attendait un peu. Il était alors sur le point de poser une autre question, mais il fut pris de vitesse par son interlocutrice.

Voilà bien quelque chose d'étrange. Quelqu'un qui voulait connaître son entourage. C'était d'autant plus étrange qu'il n'avait plus eu l'occasion de fréquenter la dite personne, ni même qui que ce soit d'autre après tous ces cycles de solitude. Il essaya de se plonger dans ses souvenirs, non sans difficulté, comme s'il s'agissait de remettre la main sur un album photo, rangé quelque part dans le tiroir d'un vieux bureau, planqué dans un grenier poussiéreux, après avoir trié toute la littérature scientifique sur son passage afin d'avancer. Ceci tout en évitant de se laisser distraire dans son chemin par un article intéressant, ce qu'il ne put s'empêcher de faire d'ailleurs.

"Le Glucosium, une invention très ingénieuse de sa part oui. C'est une sorte de dist-... oh mais..."

Il secoua la tête pour se concentrer de nouveau.

"Pardon. Ma sœur vous dites ? Oui c'est vrai, j'en ai fais mention plus tôt. Comment est-elle ? Voyons."

Dans son esprit bazardé il réussi à trouver le bon tiroir et en sorti un très vieux livre. Dedans il n'y avait pas que lui et sa sœur, en fait il y avait deux sœurs.

"Ah oui voilà. J'avais deux sœurs pour être plus précis. Je parlais de ma sœur cadette donc. Elle s’appelait Dé-Camille. C'était vraiment fascinant oui, toutes ces formules chimiques qu'elle créait. Et... "

Il s'arrêta de nouveau puis répéta, butant sur le fameuse question.

"Comment est-elle ?"

Il pivota son corps vers le ciel et flottait à présent dos au sol, une main posée contre le menton. C'était le noir total, comme si les pages avaient en fait été dispersées dans tous le grenier. Il était incapable de refaire un portrait complet de sa sœur cadette. Il ne pouvait que compter sur quelques bribes qui réapparaissaient par chance. Au bout d'un moment il finit par abandonner et se remit face au sol, les bras croisés.

"Désolé, je n'arrive pas à me rappeler exactement, mais vous pourriez peut-être m'aider. Quel est votre arôme préféré ?"

Min Min eut une moue dubitative face à la réponse d'Alfonzo. Dans quel genre de monde avait-il vécu pour que une simple question sur la famille le pousse à parler d'invention avant de la personne ? Deux sœurs mais aucune ne semblait prendre de la place dans sa mémoire ou dans ses pensées. Une vie qui ne devait pas être plus vivante que le canyon qu'ils étaient en train de traverser à travers ses yeux. Peut être qu'elle pouvait l'aider à se rappeler au moins un peu plus que ça :

"Un arôme préféré ? Difficile de choisir après avoir passée autant de temps à en sentir. Je dirais qu'il s'agit surtout d'épices en tout genre, allant des mélanges de curry, le Sichuan, l'anis... Ce serait pas mal d'ingrédients que j'aimerais bien réussir à retrouver ici. Avec le bon assaisonnement on peut rendre un plat encore meilleur. Mais si vous parlez d'un arôme dans le sens d'un goût plus que d'une odeur, j'ai tendance à préféré les goûts sucrés. La vanille par exemple est un bon choix."

La jeune sportive continuait d'avancer à un rythme plus lent mais régulier désormais, faisant de son mieux pour garder les yeux braqué vers l'avant plutôt que sur l'homme au masque qui défiait la gravité de manière si casuelle. Elle avait du mal à vraiment comprendre cet homme ou comment il fonctionnait. D'une certaine manière, il lui rappelait certains personnages de fiction dans des séries ou des vieux romans qu'elle avait pu lire au cours de sa vie. Des sortes de génies qu'on décrivait comme des sociopathes capable de construire des mondes entiers dans leurs esprits pour accomplir des prouesses inenvisageable par le commun des mortels.
La jeune fille eut un petit sourire en se disant que pour une fois, les scénaristes ne semblait pas avoir crée quelque chose de tiré par les cheveux. Le genre de personnages qu'ils créaient existaient bien. Juste dans un autre endroit que son monde d'origine. Mais toujours est-il que :

"J'avoue que je ne vois pas vraiment en quoi parler nourriture et arômes peut vous aider à vous rappeler de votre famille ? Vous aviez si peu de rencontre pour ne pas être capable de m'en dire plus ? Ou c'est juste que vous ne voulez pas vraiment vous confier à une inconnue ? Je comprendrais si c'était le cas. Pas vraiment la peine d'aller vous chercher des excuses si le sujet n'est pas confortable pour vous !"

Il ne s'attendait pas vraiment à un descriptif aussi détaillé de ses goûts, mais à vrai dire il en aurait presque oublié qu'il s'adressait à une connaisseuse, quelqu'un qui semblait manier les ingrédients de mannière quotidienne et originale. La preuve en était qu'il fut surpris par la saveur du plat qu'il venait de consommer. Deux groupes gustatifs retenaient son attention parmis tout ce qu'elle énumérait : L'épice et le sucre. C'était alors comme le code secret parfaitement exact de sa quête vers les souvenirs qui encerclaient sa soeur. Cette jeune blonde avait tapé dans le mille. Alfonzo s'étonnait toujours des choses extra-ordinaire qu'engendraient le chaos, l'entropie, la somme des intéractions entre les choses de l'univers que ce soient les particules, les énergies et lois fondamentales qui liaient tout ceci. Le hasard l'avait mené vers Min Min et voilà qu'elle lui permettait de dégager un brouillard dans son esprit. Le fabuleux pouvoir du désordre.

Le plus important était de nouveau là, l'apparence et le caractère de sa soeur cadette retrouvait son chemin dans la brume de théorie scientifique qui avaient constitué sa vie plusieurs années durant. Petit à petit il se remémorait les instants en sa compagnie et bizarrement il ressenti quelque chose d'étrange qu'il n'avait plus ressenti. Le plaisir des bons souvenirs.

Tandis qu'il se laissait aller à ce sentiment, sa compagne de route le reprit sur autre chose. Alfonzo sembla noter une pointe d'irritation dans sa voix et ne put constater avec regret à quel point il se sentait dans un monde spirituel différent comparé à l'être organique. Elle semblait le voir comme un être humain et s'attendait à le voir réagir ainsi, malheureusement elle faisait fausse route. Il prit à son tour la parole.

"Je crois qu'il est temps pour moi de rétablir quelques vérités. Et pour cela je pense que nous allons aussi en profiter pour faire une halte, car il semble que nous approchions de la fin du canyon et une légère pause ne nous fera pas de mal."

Tandis qu'ils avançaient, les pics rocheux n'obstruaient plus leur vision à présent. Ils pouvaient encore mieux apercevoir le panorama donnant sur les terres sauvages, les ruines, la forêt loin devant eux, tandis que la grande partie de la plaine et le bâtiment colossal en lui-même restaient cachés par les montagnes, à moins de prendre plus de hauteur. Alfonzo s'arrêta dans sa lancée et se remit droit, puis posa de nouveau les pieds au sol. Il logea finalement ses mains dans les poches avant de se lancer dans les explications.

"Pardonnez-moi si je vous ai froissé d'une quelconque façon Min Min. Vous savez je suis un Stellarion, un être des étoiles, et en temps que tel mon relationnel peut vous sembler étrange. Il nous a été déconseillé d'avoir toute relation proche avec un être né d'un astre tellurique, pour éviter justement tout malentendu. Ce qui est sur le point de se produire ici, je le crains. Vous voyez le mal et le bien quelque part, quoi que ces deux concepts puissent être et je l'ignore, tandis que de notre côté nous ne voyons que des causes et des effets. Nous trouverions normal d'utiliser la puissance de l'atome à un endroit donné pour en déduire les effets sur les corps organique, pendant que vous débattriez de la portée abstraite d'une telle action. Je tiens à vous dire les choses clairement et je sais que ce sera dur à accepter pour vous, tout comme il est pour moi impossible à déterminer ce qui est bien de ce qui est mal. Cependant ne pensez pas que je sois totalement désintéressé par ce sujet, au contraire je cherche à comprendre ce concept et par extension je cherche à vous comprendre." Fit-il en inclinant la tête sur le côté après cette remarque.

"Notre rencontre est une erreur mais... une erreur que je suis content d'expérimenter. Car voyez-vous, je peux au moins vous ôter d'un doute. Il est vrai que je ne suis pas très investi de tact, mais c'est sans doute parce que j'ai vécu dans l'absolu solitude pendant environ dix de vos années telluriques. Dix ans après qu'une catastrophe ait emporté tous mes pairs, mes proches, les maîtres que j'admirais le plus, ainsi que ma famille. Je n'avais plus que la connaissance à portée de main et les outils laissés derrière par mes confrères pour tenter de les sauver. Et donc oui, je suis content Min Min, puisque vous êtes le premier être intelligent avec lequel je peux enfin discuter, après dix ans de solitudes. La dernière interaction que j'ai eu avec un autre être, remonte à une dispute avec ma sœur ainée. J'ai beaucoup de regrets, mais je n'arrive plus à être triste. Et donc, notre rencontre est une erreur oui, mais une erreur qui me fait plaisir."  

Alfonzo s'assit alors en tailleur d'un air las, le dos courbé comme si ses épaules soutenaient un poids important. Et c'est alors que quelques paillettes sortirent de ses yeux pour s'évanouir en un courant d'air derrière lui.

"Je vous suis très redevable de m'avoir fais repenser à ma sœur cadette, car vous m'avez ouvert les yeux grâce à vos préférences. Et non je n'avais aucune intention d'ignorer le sujet. Cela peut être long, alors dites-moi quand vous souhaitez que je me lance."

Min Min avait continué son chemin, traversant le canyon plus vite qu’elle ne l’avait prévu, alors qu’elle pouvait enfin voir la forêt qui s’étendait devant eux. Mais de là où elle était, elle ne pouvait voir que la canopée, l’empêchant de vraiment savoir à quel point ils étaient proche de leur destination final. La jeune femme accepta la pause avec un soupir de soulagement, arrêtant de courir mais restant en mouvement pour éviter que son corps ne refroidisse, récupérant un rythme de souffle plus lent alors qu’elle écoutait la longue litanie d’Alfonzo. Pendant ces quelques secondes, elle ne dit rien, n’interrompant pas son discours, le laissant dire tout ce qu’il avait sur le cœur. Il lui sembla qu’il n’avait pas dû avoir l’occasion de le faire depuis un moment… Et elle n’avait pas vraiment tort sur le coup.

Min Min pencha la tête sur le côté alors qu’elle essayait de comprendre tout ce qu’il venait de lui dire. Elle n’était pas stupide mais la philosophie n’avait jamais été son fort. Elle devait bien l’avouer, elle n’avait pas vraiment compris tout ce qu’il avait voulu dire avec ces grandes phrases sur le bien, le mal, les telluriques et les erreurs. En revanche, elle avait bien pu comprendre tout ce qu’il avait dit sur l’isolation et la séparation avec sa famille qui s’était fini sur des mots qu’il regrettait. Chacun a une expérience de vie différente, elle n’aurait peut-être pas dû mettre les pieds dedans comme ça. Ou peut-être que c’était l’inverse. Après dix ans d’isolation, des fois, la meilleure manière de passer ses barrières serait de foncer dedans et de les exploser en morceaux. On lui demandait de ne pas rentrer en contact avec les gens comme elle ? Mais il semblait prêt à le faire ? Eh bien, elle pouvait au moins lui offrir une oreille :

« Je ne voulais pas particulièrement paraître agressive. Mais je suis néanmoins contente que vous puissiez parler aussi librement. Dix ans doivent faire plutôt longs. Alors faisons en sorte de rattraper votre temps perdu. Vous avez dix années de parlote à utiliser maintenant. C’est bien beau d’économiser mais maintenant, faisons en sorte de tout faire sortir. On a traversé ce canyon plus vite que je n’aurais pu espérer alors on peut bien prendre quelque secondes. »

Min Min se posa sur le sol, mettant les genoux au sol et s’asseyant sur ses pieds, gardant le dos droit. Ses yeux à travers son masque était fixé dans le masque d’Alfonzo. Elle semblait être en train de se concentrer autant, si ce n’est plus, sur cette conversation que sur sa course à travers le canyon.

« Allez-y, lancez-vous Alfonzo. Profitons que le soleil soit encore présent pour que vous me racontiez un peu plus d’informations sur vous. Du peu que je sais, vous venez des étoiles, quoi que cela veuille dire, vous avez deux sœurs dont l’une d’entre elle est une sorte de scientifique culinaire ? Et vous semblez avoir une sorte de contrôle sur la gravité et sur le temps que ce soit technologique ou magique… Mais maintenant, j’ose espérer que vous vous sentez suffisamment à l’aise avec cet endroit « tellurique » pour vous confier ou au moins vous ouvrir aux autres. Mon occupation principal était certes d’affronter des gens sur divers terrains mais on ne tient pas un restaurant si on n’aime pas les gens un minimum alors je serais heureuse si vous voudriez bien vous lancez maintenant. »